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CHAMFORT

Sébastien-Roch Nicolas, dit Chamfort

 

Nicolas Sébastien-Roch, dit Chamfort

Auteur dramatique, publiciste, poëte, moraliste et littérateur distingué, né en 1741 en Auvergne, d'un père inconnu, fit ses études comme boursier au collège des Grassins à Paris, et remporta en rhétorique les premiers prix de l'université. Il prit en entrant dans le monde le nom de Chamfort à la place du simple nom de Nicolas qu'il avait porté jusque là, se fit de bonne heure connaître par des prix de poésie remportés à l'Académie, donna au Théâtre-Français quelques comédies qui réussirent, et s'attacha pour vivre à diverses entreprises littéraires. Sa réputation le fit rechercher du prince de Condé, qui le nomma vers 1776 secrétaire de ses commandements ; il devint ensuite lecteur de madame Elisabeth, soeur du roi.

A la révolution, il embrassa avec ardeur les idées nouvelles, quoiqu'il fût personnellement attaché à la famille royale ; il se démit de son emploi, et se lia avec Mirabeau. Jean-Marie Roland de La Platière le nomma en 1792 conservateur de la Bibiothèque nationale. Ayant osé blâmer les fautes et les violences du parti révolutionnaire, il fut arrêté et jeté en prison ; il essaya inutilement de se tuer. On le relâcha bientôt après, mais il mourut au bout de quelques semaines des suites des blessures qu'il s'était faites le 13 avril 1794.

Il avait été reçu à l'Académie le 5 avril 1781 au fauteuil 6 à la suite de Jean-Baptiste de Lacurne de Sainte-Palaye ; son successeur fut Pierre-Louis Roederer.

Ses écrits les plus estimés sont : Éloge de Molière, couronné (1769), Éloge de La Fontaine, 1774 ; La jeune Indienne, le Marchand de Smyrne (1770), comédies ; Mustapha et Zéangir (1776), tragédie, ses Maximes et Pensées, Maximes générales. Plusieurs de ses ouvrages se sont perdus, entre autres un Commentaire sur La Fontaine (il n'en a paru qu'une partie dans les Trois Fabulistes, 1796). Ses œuvres ont été rassemblées par Ginguené, 1795, 4 vol. in-8, et par M. Aguis, 1824, 5 vol. in-8, et réimprimées en 1855 par E. Didier.

 

BIOGRAPHIE

PAR

TYRTÉE TASTET

1855

 

Né en 1741, dans un village près de Clermont en Auvergne. Il ne se connut point de père et ne reçut d’autre nom que celui de Nicolas, auquel il ajouta celui de Chamfort , à son entrée dans le monde. Amené dès sa première jeunesse à Paris, et mis comme boursier au collège des Grassins, il se montra écolier indolent jusqu’à sa rhétorique ; mais alors il remporta les cinq premiers prix de l’université.

Sans appui, d’un caractère indépendant et fier, il se vit longtemps aux prises avec la misère. Des sermons composés pour certains prédicateurs, des articles pour quelques journaux du temps, subvenaient bien chétivement à ses premiers besoins. En 1764, le sort commença de lui sourire : l’Académie française couronna son épître sur La Naissance d’un petit-fils, et la Comédie-Française joua sa Jeune Indienne, qui fut applaudie. Ces succès lui donnèrent pied dans le monde brillant, où la vivacité de son esprit, ses saillies piquantes, sa jolie figure, l’élégance de ses manières lui attirèrent des faveurs de plus d’un genre. Tristes jouissances, qui lui rendirent beaucoup plus pénible l’indigence dans laquelle il retomba. Son Homme de lettres, discours en vers envoyé au concours de 1766, fut vaincu par le Poète de Laharpe ; son Ode sur les volcans, adressée à l’Académie de Marseille, ne fut point admise, pour être arrivée trop tard ; mais deux ans après, cette dernière compagnie couronna son discours sur la question : « Combien le génie des grands écrivains influe sur l’esprit de leur siècle ? » Un nouveau prix remporté à l’Académie française, prix d’éloquence cette fois, pour un Éloge de Molière, et la comédie du Marchand de Smyrne, représentée l’année suivante, en 1770, petite pièce étincelante d’esprit, augmentèrent sa réputation. Toutes ces pièces, tous ces prix le sauvaient à peine du dénûment ; sa santé se trouvait déjà fort altérée, sa vue en péril.

La séance où fut couronné cet éloge de Molière avait attiré une société nombreuse et choisie ; elle fut remarquable par une particularité qui contribua beaucoup à la rendre intéressante. Messieurs de l’Académie prirent place, et l’on ne fut pas peu surpris de voir siéger parmi eux un abbé que l’on ne connaissait pas. Duclos, secrétaire perpétuel, s’apercevant de l’étonnement de l’assemblée, lui apprit que cet abbé était un Poquelin, un petit-neveu de Molière. Des battements de mains multipliés accueillirent cette révélation. Ensuite le directeur de l’Académie, l’abbé de Boismont, fit une sorte d’amende honorable à Molière, au nom de la compagnie, qui, disait-il, le comptant au rang de ses maîtres, le voyait toujours avec douleur absent de la liste de ses membres ; et déclara qu’elle avait proposé son éloge au concours, afin de réparer cette omission autant qu’il était en elle. A-t-elle assez souvent manifesté son repentir sincère d’un tort qu’il lui était impossible de ne pas avoir !

Cependant Chabanon, ami intime de Chamfort et plus tard son confrère à l’Académie, lui fit accepter, après mille instances, une pension de 1,200 livres sur le Mercure, pension dont lui-même n’avait pas besoin, et qu’on lui avait donnée sans qu’il l’eût sollicitée. Moins dépourvu, Chamfort put aller se rétablir aux eaux de Contrexeville, puis se retira à la campagne pour travailler sérieusement.

Sur ces entrefaites, l’Académie de Marseille proposa l’Éloge de La Fontaine. Chamfort concourut ; mais Laharpe s’était mis aussi sur les rangs. Necker, protecteur déclaré de ce dernier, ne doutant pas de son triomphe, augmenta de deux mille livres la valeur de la médaille. C’était une gracieuseté délicate qu’il prétendait faire à Laharpe. Chamfort obtint le prix ; il le méritait, et son travail est resté comme un chef-d’œuvre de critique littéraire, l’un des plus remarquables du genre.

Il avait entrepris depuis longtemps une tragédie, Mustapha et Zéangir, que ses maladies, la composition d’autres ouvrages, avaient souvent interrompue. Cette tragédie fut jouée en 1776, devant la cour, à Fontainebleau, où, suivant Laharpe, elle eut un succès d’ivresse ; il y devint de mode de dire « qu’on ne savait ce qu’il fallait admirer le plus dans l’auteur, ou son génie, ou son âme ». La vérité est que la froideur générale de cette œuvre, composée à bâtons rompus, l’absence de force tragique et d’intérêt en un sujet dramatique et intéressant par lui-même, en ont rendu de tout temps la reprise impossible. Elle se soutient seulement à la lecture, par les belles qualités de style qui firent dire à Voltaire lisant le quatrième acte : « Diantre ! C’est du Racine cela ! » Mais Chamfort était peu né pour la scène ; il avait trop d’esprit et pas assez de cœur. Cependant le prince de Condé récompensa l’auteur en lui confiant la place de secrétaire de ses commandements. Malgré la position assurée, les relations flatteuses que lui créait cet emploi, Chamfort s’en démit bientôt, et, son goût pour la retraite croissant en proportion de sa célébrité, il se retira d’abord à Auteuil, auprès de Mme Helvétius, qui avait été sa bienfaitrice, puis alla s’établir avec elle à Étampes. Ce n’était point l’amour qui les unissait, mais « il y avait plus et mieux que de l’amour, puisque c’était une réunion complète de tous les rapports d’idées, de sentiment et de position », écrivait-il lui-même à un ami. Cette femme aimable, un peu plus âgée que Chamfort, lui rendit quelques mois l’existence plus douce, et puis mourut tout à coup. Sa douleur le replongea dans le tourbillon du monde. Plus que jamais il y fut recherché par tout ce que la société avait de distingué, et fit les délices des cercles polis, par les charmes de son esprit et l’indépendance même de ses allures. Le comte de Vaudreuil, le plus aimable des grands seigneurs, s’enthousiasma de lui, lui obtint l’emploi de lecteur de Mme Élisabeth, sœur du roi. Chamfort composa pour cette intéressante princesse un Commentaire sur les fables de La Fontaine, où devaient abonder à coup sûr les vues profondes et le goût délicat ; travail perdu, dont les notes insérées dans le recueil des Trois fabulistes de Gail ne sont que les rognures, suivant les expressions mêmes de leur auteur.

Quand la révolution éclata, Chamfort se trouvait en relation avec les personnages les plus influents du parti de la cour et du parti populaire. Il n’épargna ni conseils ni prières pour arracher le premier à son aveuglement ; soins inutiles ! alors ses principes et ses penchants le rejetèrent dans la voie du second ; il leur sacrifia sans regret ses pensions, ses places, son logement au Palais-Royal, redevint pauvre sans murmure. Des travaux utiles lui furent offerts, il les accepta ; notamment, la rédaction de la partie littéraire du Mercure. Ce journal lui dut des articles importants, ceux, entre autres, sur les mémoires de Duclos et sur les mémoires du duc de Richelieu, articles remarquables par le choix heureux des anecdotes, l’intérêt des considérations morales ou politiques, le nerf et la rapidité de la pensée, l’allure originale du style. La place de conservateur de la bibliothèque nationale, où l’installa le ministre Roland, lui rendit une aisance momentanée, mais devint l’une des causes de sa perte. Cette place était enviée ; or Chamfort, qui s’était montré trop facile aux premiers excès révolutionnaires, n’avait point tardé à s’indigner. Il poursuivait sans relâche l’ignoble tyrannie, de ses sarcasmes généreux. Ces mots, la fraternité ou la mort, il les avait traduits ainsi : Sois mon frère ou je te tue ! Il s’était marqué lui-même pour l’échafaud. On le dénonça, il fut arrêté, emprisonné aux Madelonnettes avec son neveu, le vénérable abbé Barthélemy, y resta seulement quelques jours, mais jura de n’y rentrer jamais vivant. Cependant un mois après on allait se ressaisir de sa personne. Il passe dans son cabinet, se tire un coup de pistolet, se fracasse la tête, et, ne pouvant mourir, se laboure la gorge, la poitrine, les jarrets à coups de rasoir. Il survécut encore à ces horribles blessures, guérit même peu de temps après, quitta la bibliothèque nationale, et se logea dans un humble entresol, conforme au mauvais état de sa fortune. Là, il projetait de nouveaux travaux, lorsqu’une humeur dartreuse, à laquelle il était sujet depuis longtemps, termina sa carrière agitée, le 13 avril 1794.

Ce qui caractérise les écrits de Chamfort, c’est la finesse ingénieuse et pénétrante, sans exclusion de l’étendue, de la solidité. Ses éloges de Molière et de La Fontaine, ce dernier surtout, sont considérés comme des modèles d’analyse à la fois piquante et profonde. Ses deux petites comédies renferment des scènes charmantes, sont semées de mots heureux, de traits plaisants et philosophiques. Observateur d’un jugement d’autant plus sûr qu’il a moins de sensibilité, écrivain d’une physionomie marquée, on ne saurait trop regretter qu’il n’ait point attaché son nom à une œuvre de grande importance. Mais il faut l’en plaindre plutôt que l’en blâmer : il mourut dans toute la vigueur de sa rare intelligence, et l’on sait qu’il méditait un vaste travail sur les mœurs de son temps. Cette œuvre lui aurait assuré une place entre La Bruyère et Duclos, s’il faut en juger par les fragments qui nous en restent, les Maximes et pensées, Maximes générales, Caractères et anecdotes, l’une des plus singulières lectures que nous connaissions, où l’idée revêt ce tour d’originalité laconique qui se grave dans l’esprit, où souvent un mot, un trait, peignent tout un caractère ou toute une époque. Chamfort est un des hommes qui eurent le plus d’esprit dans le plus spirituel des siècles.

Il avait pris une grande part à l’éloquent écrit sur l’ordre de Cincinnatus, publié par Mirabeau, dont il était l’ami, dont il aidait les travaux par ses conseils, quand il ne le faisait pas d’une façon plus directe. C’est pour lui qu’il avait composé le fameux discours sur les Académies, ou plutôt sa philippique contre les Académies. Le grand tribun devait prêter à ce discours, à la tribune de l'Assemblée constituante, l’appui de sa voix tonnante et de sa véhémence oratoire ; mais la mort l’arrêta avant qu’il l’eût prononcé. Cet écrit est fort ingénieux sans doute : c’est du Chamfort ; il a même de l’entraînement, de la chaleur ; mais il ne reproduit que des sophismes déjà vieux à cette époque, sans cesse renouvelés, avant comme depuis, sophismes pulvérisés par la vigoureuse logique de l’abbé Morellet, pourfendus par Suard, quoique avec des armes courtoises, les seules dont se soit toujours servi ce littérateur aimable, et, ce qui parle plus haut encore, dédaignés par la Convention elle-même, qui recréa les Académies sous le nom d’Institut national. Par un hasard providentiel, aucun récipiendaire n’avait jamais été plus explicite que le parricide Chamfort dans l’expression de sa reconnaissance : son remerciement, d’ailleurs fort remarquable, commençait par cette phrase aux formes bien tranchées : « Il y a des bienfaits qui ne trouvent point d’ingrats ! » et dix ans plus tard il acérait sa plume contre l’Académie.

 


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