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LA ROCHEFOUCAULD - BIOGRAPHIE


 

 

LA ROCHEFOUCAULD

François VI, duc de La Rochefoucauld

 

François VI , duc de La Rochefoucauld

Appartenant à l'une des plus illustres familles de la noblesse française apparue en 1019 avec Foucauld, seigneur de La Roche, fils de François V de La Rochefoucauld et de Gabrielle du Plessis-Liancourt, d'abord connu sous le nom de prince de Marcillac, célèbre écrivain et moraliste, né à Paris le 15 décembre 1613, François VI se signala en diverses occasions par son courage, mais se fit surtout remarquer par une profonde connaissance des hommes et par son esprit d'intrigue.
Épris de la duchesse de Longueville (1646), il entra, pour lui plaire, dans le parti des Frondeurs. Opposant à Richelieu, il n'y joua cependant qu'un rôle fort secondaire.
Rentré en grâce, il fut fait par Louis XIV chevalier des ordres du roi (1661), puis gouverneur du Poitou.
II passa sa vieillesse dans l'intimité de madame Marie-Madeleine de la Fayette et de madame Marie de Sévigné, et mourut à Paris le 16 mars 1680 après avoir reçu l'extrême-onction des mains de Bossuet.

Il a laissé des Mémoires sur le règne d'Anne d'Autriche, 1662 (publiés plus complètement par Renouard en 1817), et un livre de Maximes, imprimé pour la première fois en 1665 sous le titre de Réflexions et sentences, ou Maximes morales. Ce petit ouvrage a fait la réputation de son auteur, tant à cause de la perfection du style que pour la hardiesse des paradoxes : on y prétend que l'amour propre ou l'amour de soi est le seul mobile de toutes les actions humaines : c'était une opinion assez naturelle chez un homme qui avait vécu dans les cours. Égoïste, ambitieux, intrigant, libertin. La Rochefoucauld n'a que trop souvent appliqué ses désolantes maximes. Ses Œuvres ont été publiées en 1825, in-8, en 1844, in-18 (par Aimé Martin), etc...

 

Portrait de La Rochefoucauld

fait par lui-même

1658

 

Je suis d'une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J'ai le teint brun mais assez uni, le front élevé et d'une raisonnable grandeur, les yeux noirs, petits et enfoncés, et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serais fort empêché à dire de quelle sorte j'ai le nez fait, car il n'est ni camus ni aquilin, ni gros ni pointu, au moins à ce que je crois. Tout ce que je sais, c'est qu'il est plutôt grand que petit, et qu'il descend un peu trop en bas. J'ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d'ordinaire, et ni bien ni mal taillées. J'ai les dents blanches, et passablement bien rangées. On m'a dit autrefois que j'avais un peu trop de menton : je viens de me tâter et de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est, et je ne sais pas trop bien qu'en juger. Pour le tour du visage, je l'ai ou carré ou en ovale ; lequel des deux, il me serait fort difficile de le dire. J'ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête. J'ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine ; cela fait croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J'ai l'action fort aisée, et même un peu trop, et jusques à faire beaucoup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que je suis fait au dehors, et l'on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus n'est pas fort éloigné de ce qui en est. J'en userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de mon portrait ; car je me suis assez étudié pour me bien connaître, et je ne manque ni d'assurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincérité pour avouer franchement ce que j'ai de défauts.

Premièrement, pour parler de mon humeur, je suis mélancolique, et je le suis à un point que depuis trois ou quatre ans à peine m'a-t-on vu rire trois ou quatre fois. J'aurais pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n'en avais point d'autre que celle qui me vient de mon tempérament ; mais il m'en vient tant d'ailleurs, et ce qui m'en vient me remplir de telle sorte l'imagination, et m'occupe si fort l'esprit, que la plupart du temps ou je rêve sans dire mot ou je n'ai presque point d'attache à ce que je dis. Je suis fort resserré avec ceux que je ne connais pas, et je ne suis pas même extrêmement ouvert avec la plupart de ceux que je connais. C'est un défaut, je le sais bien, et je ne négligerai rien pour m'en corriger ; mais comme un certain air sombre que j'ai dans le visage contribue à me faire paraître encore plus réservé que je ne le suis, et qu'il n'est pas en notre pouvoir de nous défaire d'un méchant air qui nous vient de la disposition naturelle des traits, je pense qu'après m'être corrigé au dedans, il ne laissera pas de me demeurer toujours de mauvaises marques au dehors.

J'ai de l'esprit et je ne fais point difficulté de le dire ; car à quoi bon façonner là-dessus ? Tant biaiser et tant apporter d'adoucissement pour dire les avantages que l'on a, c'est, ce me semble, cacher un peu de vanité sous une modestie apparente et se servir d'une manière bien adroite pour faire croire de soi beaucoup plus de bien que l'on n'en dit. Pour moi, je suis content qu'on ne me croie ni plus beau que je me fais, ni de meilleure humeur que je me dépeins, ni plus spirituel et plus raisonnable que je dirai que je le suis. J'ai donc de l'esprit, encore une fois, mais un esprit que la mélancolie gâte ; car, encore que je possède assez bien ma langue, que j'aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément, j'ai pourtant une si forte application à mon chagrin que souvent j'exprime assez mal ce que je veux dire.

La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. J'aime qu'elle soit sérieuse et que la morale en fasse la plus grande partie ; cependant je sais la goûter aussi quand elle est enjouée, et si je n'y dis pas beaucoup de petites choses pour rire, ce n'est pas du moins que je ne connaisse bien ce que valent les bagatelles bien dites, et que je ne trouve fort divertissante cette manière de badiner où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. J'écris bien en prose, je fais bien en vers, et si j'étais sensible à la gloire qui vient de ce côté-là, je pense qu'avec peu de travail je pourrais m'acquérir assez de réputation.

J'aime la lecture en général ; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l'esprit et fortifier l'âme est celle que j'aime le plus. Surtout, j'ai une extrême satisfaction à lire avec une personne d'esprit ; car de cette sorte on réfléchit à tous moments sur ce qu'on lit, et des réflexions que l'on fait il se forme une conversation la plus agréable du monde, et la plus utile.

Je juge assez bien des ouvrages de vers et de prose que l'on me montre ; mais j'en dis peut-être mon sentiment avec un peu trop de liberté. Ce qu'il y a encore de mal en moi, c'est que j'ai quelquefois une délicatesse trop scrupuleuse, et une critique trop sévère. Je ne hais pas à entendre disputer, et souvent aussi je me mêle assez volontiers dans la dispute : mais je soutiens d'ordinaire mon opinion avec trop de chaleur et lorsqu'on défend un parti injuste contre moi, quelquefois, à force de me passionner pour celui de la raison, je deviens moi-même fort peu raisonnable.

J'ai les sentiments vertueux, les inclinations belles, et une si forte envie d'être tout à fait honnête homme que mes amis ne me sauraient faire un plus grand plaisir que de m'avertir sincèrement de mes défauts. Ceux qui me connaissent un peu particulièrement et qui ont eu la bonté de me donner quelquefois des avis là-dessus savent que je les ai toujours reçus avec toute la joie imaginable, et toute la soumission d'esprit que l'on saurait désirer.

J'ai toutes les passions assez douces et assez réglées : on ne m'a presque jamais vu en colère et je n'ai jamais eu de haine pour personne. Je ne suis pas pourtant incapable de me venger, si l'on m'avait offensé, et qu'il y allât de mon honneur à me ressentir de l'injure qu'on m'aurait faite. Au contraire je suis assuré que le devoir ferait si bien en moi l'office de la haine que je poursuivrais ma vengeance avec encore plus de vigueur qu'un autre.

L'ambition ne me travaille point. Je ne crains guère de choses, et ne crains aucunement la mort. Je suis peu sensible à la pitié, et je voudrais ne l'y être point du tout. Cependant il n'est rien que je ne fisse pour le soulagement d'une personne affligée, et je crois effectivement que l'on doit tout faire, jusques à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal, car les misérables sont si sots que cela leur fait le plus grand bien du monde ; mais je tiens aussi qu'il faut se contenter d'en témoigner, et se garder soigneusement d'en avoir. C'est une passion qui n'est bonne à rien au-dedans d'une âme bien faite, qui ne sert qu'à affaiblir le coeur et qu'on doit laisser au peuple qui, n'exécutant jamais rien par raison, a besoin de passions pour le porter à faire les choses.

J'aime mes amis, et je les aime d'une façon que je ne balancerais pas un moment à sacrifier mes intérêts aux leurs ; j'ai de la condescendance pour eux, je souffre patiemment leurs mauvaises humeurs et j'en excuse facilement toutes choses ; seulement je ne leur fais pas beaucoup de caresses, et je n'ai pas non plus de grandes inquiétudes en leur absence.

J'ai naturellement fort peu de curiosité pour la plus grande partie de tout ce qui en donne aux autres gens. Je suis fort secret, et j'ai moins de difficulté que personne à taire ce qu'on m'a dit en confidence. Je suis extrêmement régulier à ma parole ; je n'y manque jamais, de quelque conséquence que puisse être ce que j'ai promis et je m'en suis fait toute ma vie une loi indispensable. J'ai une civilité fort exacte parmi les femmes, et je ne crois pas avoir jamais rien dit devant elles qui leur ait pu faire de la peine. Quand elles ont l'esprit bien fait, j'aime mieux leur conversation que celle des hommes : on y trouve une certaine douceur qui ne se rencontre point parmi nous, et il me semble outre cela qu'elles s'expliquent avec plus de netteté et qu'elles donnent un tour plus agréable aux choses qu'elles disent. Pour galant, je l'ai été un peu autrefois ; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois. J'ai renoncé aux fleurettes et je m'étonne seulement de ce qu'il y a encore tant d'honnêtes gens qui s'occupent à en débiter.

J'approuve extrêmement les belles passions : elles marquent la grandeur de l'âme, et quoique dans les inquiétudes qu'elles donnent il y ait quelque chose de contraire à la sévère sagesse, elles s'accommodent si bien d'ailleurs avec la plus austère vertu que je crois qu'on ne les saurait condamner avec justice. Moi qui connais tout ce qu'il y a de délicat et de fort dans les grands sentiments de l'amour, si jamais je viens à aimer, ce sera assurément de cette sorte ; mais, de la façon dont je suis, je ne crois pas que cette connaissance que j'ai me passe jamais de l'esprit au coeur.

 

Portrait de La Rochefoucauld

par

Jean-François Paul de Gondi, Cardinal de Retz (1613-1679)

 

Il y a toujours eu du je-ne-sais-quoi en M. de La Rochefoucauld. Il a voulu se mêler d’intrigues, dès son enfance, et en un temps où il ne sentait pas les petits intérêts, qui n’ont jamais été son faible ; et où il ne connaissait pas les grands, qui, d’un autre sens, n’ont pas été son fort. Il n’a jamais été capable d’aucunes affaires, et je ne sais pourquoi ; car il avait des qualités qui eussent suppléé, en tout autre, celles qu’il n’avait pas. Sa vue n’était pas assez étendue, et il ne voyait pas même tout ensemble ce qui était à sa portée ; mais son bon sens, très bon dans la spéculation, joint à sa douceur, à son insinuation et à sa facilité de mœurs, qui est admirable, devait récompenser plus qu’il n’a fait le défaut de sa pénétration. Il a toujours eu une irrésolution habituelle ; mais je ne sais même à quoi attribuer cette irrésolution. Elle n’a pu venir en lui de la fécondité de son imagination, qui n’est rien moins que vive. Je ne la puis donner à la stérilité de son jugement ; car, quoiqu’il ne l’ait pas exquis dans l’action, il a un bon fonds de raison. Nous voyons les effets de cette irrésolution, quoique nous n’en connaissions pas la cause. Il n’a jamais été guerrier, quoiqu’il fût très soldat. Il n’a jamais été, par lui-même, bon courtisan, quoiqu’il ait eu toujours bonne intention de l’être. il n’a jamais été bon homme de parti, quoique toute sa vie il y ait été engagé. Cet air de honte et de timidité que vous lui voyez dans la vie civile s’était tourné dans les affaires en air d’apologie. Il croyait toujours en avoir besoin ; ce qui joint à ses Maximes, qui ne marquent pas assez de foi à la vertu, et à sa pratique, qui a toujours été de chercher à sortir des affaires avec autant d’impatience qu’il y était entré, me fait conclure qu’il eût beaucoup mieux fait de se connaître et de se réduire à passer, comme il eût pu, pour le courtisan le plus poli, et le plus honnête homme, à l'égard de la vie commune, qui eût paru dans son siècle.

La Rochefoucauld

 

LA ROCHEFOUCAULD

PAR

VAUVENARGUES

 

« Le duc de La Rochefoucauld a saisi admirablement le côté faible de l'esprit humain ; peut être n'en a-t-il pas ignoré la force ; peut-être n'a-t-il contesté le mérite de tant d'actions éblouissantes, que pour démasquer la fausse sagesse. Quelles qu'aient été ses intentions, l'effet m'en parait pernicieux ; son livre, rempli d'invectives contre l'hypocrisie, détourne, encore aujourd'hui, les hommes de la vertu, en leur persuadant qu'il n'y en a point de véritable.

Cet illustre auteur mérite, d'ailleurs, de grandes louanges, pour avoir été, en quelque sorte, l'inventeur du genre d'écrire qu'il a choisi. J'ose dire que cette manière hardie d'exprimer, brièvement et sans liaison, de grandes pensées, a quelque chose de bien élevé. Les esprits timides ne sont pas capables de passer ainsi, sans gradation et sans milieu, d'une idée à une autre ; l'auteur des Maximes les étonne par les grandes démarches de son jugement ; son imagination agile se promène, sans s'arrêter, sur toutes les faiblesses de l'esprit humain, et l'on voit en lui une vaste intelligence qui, laissant tomber au hasard ses regards rapides, prend toutes les folies et tous les vices pour le champ de ses réflexions.

Cependant M. de La Rochefoucauld n'était pas peintre, talent sans lequel il est bien difficile d'être éloquent ; il savait exprimer avec précision et avec finesse des pensées profondes ; il avait cette liberté et cette hardiesse qui caractérisent le génie ; mais son style n'est ni gracieux, ni touchant, ni véhément, ni sublime ; on ne trouve dans ses écrits ni la magnificence de Bossuet, ni la simplicité et l'énergie de Pascal, ni le pathétique de Fénelon, ni le coloris de la Bruyère. Aussi plait-il moins, ce me semble, par ses expressions que par. la finesse de son esprit ; mais je crois qu'il sera toujours dans le premier rang des philosophes qui ont su écrire. »

Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues (1715-1747), moraliste français, Introduction à la connaissance de l'esprit humain suivie de Réflexions et maximes (1746), Fragments, Réflexions critiques sur quelques poètes, Les Orateurs, Sur le duc de La Rochefoucauld.

 


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